Etats du Moi

Certains considèrent que la personnalité est multiple et qu'il peut exister des troubles de la personnalité multiple. Hacking (1998) s'est d'ailleurs intéressé à comment la personnalité multiple est devenu un objet de connaissance à travers le temps. Peut être aussi amené en thérapie  un récit incluant des aspects différents de la personnalité de la personne entretenant entre eux des relations. Spiegel (1993) a montré que les troubles dits dissociatifs sont des troubles de l'intégration de soi. Ainsi, le sens de l'identité personnelle pourrait être compromis après avoir abondamment utilisé la dissociation pour se sortir d'un traumatisme. Un signe peut être par exemple l'utilisation du "on" ou du "nous" au lieu du "je".

La théorie des états du Moi (Ego State Therapy) se base sur les travaux de  Federn (1952), développée par Berne (1972)  et Watkins & Watkins (1997) selon laquelle la personne se développe  à la fois selon un processus d'intégration et de différenciation.  Un état du Moi serait conceptuellement un agrégat de comportements et d'expériences reliés entre eux mais séparés de façon plus ou moins poreuses d'autres états distincts. Ils n'apparaîtraient qu'en état d'hypnose selon les Watkins.

Pour un clinicien, peu importe la réalité de la notion d'état du Moi, c'est plutôt la conceptualisation même qui pourrait être utile en prenant en compte  la multiplicité du psychisme humain. Il peut être utile de s'adresser aux états du Moi comme des personnes. Même s'il s'agit plutôt d'un groupe dissocié de souvenirs d'enfance qui ont formé une identité fragmentaire (Spiegel, 1991, p. 19). Phillips et Frederick (2001, p 215) rappellent que "les états du moi sont des énergies de la personnalité - et non de "petites personnes" intérieures". En parlant comme s'il n'était qu'une partie, la personne ne porte ainsi plus la responsabilité directe de ce qu'il dit ce qui peut être utile en thérapie.  Toutefois le travail avec les états du Moi ne se fait pas avant que la personne elle-même soit en confiance avec ses propres ressources internes.

Il est important de considérer la façon dont l'état du Moi émerge : différenciation, trauma et introjection. Des états du Moi  ou parties correspondraient  ainsi à des aspects de notre personnalité non pathologique mais d'autres peuvent être issus d'expériences répétitives délétères et s'être modifiés et construits  à la suite de  violences, menaces, rejets, négligences, dévalorisations... Les personnes présentant des traumas remontant à l'enfance peuvent avoir un haut niveau de fragmentation de leur système de soi. Parmi ces états du Moi malveillants,  certains pourraient  même correspondre à une identification à un agresseur introjecté. D'autres pourraient correspondre à une personne blessée à un moment particulier de son existence, à un moment traumatique. Certains considèrent un état du Moi ou une partie comme un système neuronal à part entière (Pace, 2019, p. 64). 

Pour Peggy Pace (2019, p. 12) fondatrice de l'ICV, "au début de son développement, le Soi humain n'est pas unifié; il y a au contraire de nombreux états du Moi qui se mettent en place pour répondre aux conditions  et circonstances de vie dans lesquels le petit humain évolue. Au cours du développement normal, ces différents états vont être intégrés pour former un ensemble plus cohérent... Quand un enfant grandit dans un environnement traumatique et/ou carencé, il va mettre en place de nombreux états du Moi différents".

En fonction du niveau de fragmentation, les parties peuvent coexister indépendamment les unes des autres sans une intégration qui devrait l'être dans un système unifié autour du soi-central.

Comme un orchestre qui s'accorde, dans cette famille du self (Watkins & Watkins, 1997), tout traitement thérapeutique vise à concilier ces différents états du Moi pour arriver à rendre inoffensifs les plus destructeurs.

Pour Schwartz (2019), il considère qu'une personne saine peut être comprise comme un système avec des parties qui travaillent ensemble sous la direction du Self (soi central). Sa théorie  l'IFS (Internal Family System) suppose que tout être est multiple avec un Self singulier à chacun et ses parties protectrices. La différence avec la théorie des états du Moi est que les parties ne sont pas générés par une situation mais qu'elles existent déjà tout en pouvant assumer des rôles différents avec de bonnes intentions. Pas question en IFS de s'en débarrasser mais plutôt d'aménager leurs fonctions protectrices pour qu'elles soient moins destructrices et en harmonie avec d'autres parties.  D'après Le Doze (2015), le travail avec les parties se fait par le dégagement du Self par relâchement des contraintes, la mise en jeu du Self comme thérapeute primaire, la désidentification des parties par rapport au Self, un travail systémique, et le déchargement des fardeaux par l’effet de la reconsolidation mnésique. 

Pour le thérapeute, il s'agit d'accueillir et de faire alliance avec les parties protectrices celles qui amènent pour rassurer à un contrôle excessif, de la rigidité, un excès de "réussir à...toujours faire... remplir..." face à un ressenti de peur, à une sensation de vide, à un sentiment de danger , d'impuissance, de solitude.  Par nature chaque état du moi est adaptatif et peut être accompagné dans une dynamique développementale de groupe.

Toutefois, pour Melchior (1998) en thérapie, il importe que les entités dont on favorise la singularisation  restent suffisamment "psychodégradables". Certes elles peuvent être utiles en thérapie mais attention à ce que l'individu n'esquive pas ses responsabilités. D'ailleurs les recherches en neurosciences tendraient à montrer que la dissociation induite par l'hypnose, utile  et psychodégradable ne serait pas la même que celle générée par un ou plusieurs événements traumatiques.

Le but de la thérapie  est l'émergence du "JE",  et la capacité de fonctionner de manière unifiée et cohérente.

Bibliographie:

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Federn, P. (1952). Ego psychology  and the psychoses. New York : Basic Books.

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